Et si on arrêtait de serrer la muserolle de son cheval ?
Cette habitude de vouloir systématiquement serrer la muserolle de son cheval est malheureusement bien ancrée chez les cavaliers. Les raisons données à cela sont, entre autres : « Ça permet d’avoir plus de contrôle”, “Sans ça le cheval est moins fin dans sa bouche” ou “C’est pour éviter que le cheval ouvre la bouche ou sorte la langue”. La réalité c’est qu’une muserolle trop serrée est une véritable souffrance pour le cheval. Les cavaliers doivent le comprendre pour réussir à dépasser leurs craintes et réussir à enfin desserrer un peu la muserolle de leur cheval.
Article rédigé à partir des travaux de Patrick Galloux et du Dr. Isabelle Burgaud, IFCE
Table des matières
5 exemples de conséquences néfastes générées par une muserolle trop serrée
➡️ Une muserolle trop serrée génère un stress important chez le cheval
De nombreuses études ont été faites sur l’analyse du stress généré par le serrage de la muserolle, et en utilisant plusieurs méthodes. A chaque fois les résultats sont identiques : les muserolles trop serrées génèrent du stress chez le cheval.
Utilisation de la fréquence cardiaque et de la variabilité de la fréquence cardiaque
Une étude de 2016 s’est penchée sur le sujet, en utilisant la fréquence cardiaque et la variabilité de la fréquence cardiaque en comparant 4 niveaux de serrage de la muserolle. Ces deux paramètres ont été mesurés au repos, puis avec la muserolle, et enfin 10 min après avoir desserré la muserolle. Les chercheurs ont constaté une très forte augmentation de la fréquence cardiaque ainsi qu’une très forte baisse de la variabilité de la fréquence cardiaque quand la muserolle est posée serrée. La fréquence cardiaque reste d’ailleurs significativement plus haute, même 10 min après avoir desserré la muserolle quand elle a été trop serrée avant, signe du stress intense généré par le serrage de la muserolle.
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Utilisation de la thermographie
Une étude de 2012 a utilisé la méthode de la thermographie pour mesurer le stress généré par la pose de la muserolle.
Une corrélation avait en effet été démontrée précédemment entre la température de l’œil (la caroncule lacrymale plus précisément) et le niveau de cortisol, l’hormone du stress.
Dans l’étude de 2012, le chercheur démontre que la température de l’œil augmente toujours dans les 2 minutes qui suivent le serrage de la muserolle, quel que soit le niveau de serrage, signe que la pose même de la muserolle est source de stress.
Dans le cas des muserolles trop serrées, les chercheurs constatent une baisse significative de la température de la joue du cheval. D’après eux, cela est lié au fait que les vaisseaux (veines et artères) de la face du cheval sont trop comprimés par la muserolle et donc le sang ne circule plus correctement dans la joue. D’où la baisse de la température.
Des expérimentations faites à Saumur par Patrick Galloux et Laetitia Boichot concordent avec cette étude.
Analyse comportementale
D’un point de vue comportemental, de nombreuses observations ont été faites.
Une étude à Saumur a été faite en analysant les signes comportementaux négatifs de chevaux montés sur une reprise de dressage avec différents niveaux de serrage de la muserolle.
Les comportements négatifs (fouaillement de la queue et oreilles en arrière) sont nettement diminués quand la muserolle est desserrée, signe d’un meilleur confort du cheval. Cela va sans dire, mais la baisse de ces comportements est également gage de meilleure performance dans ces conditions.
Aussi, le serrage de la muserolle empêche mécaniquement le cheval d’ouvrir la bouche et donc de mastiquer. Or ces mouvements de mastication sont importants pour le cheval. En éthologie, le fait de voir le cheval mâcher est d’ailleurs un signe fort de décontraction et d’acceptation du travail en cours. Le fait d’empêcher ce comportement naturel est donc une source de stress pour le cheval.
De la même manière, une étude de 2016, montre que dès lors que la muserolle est desserrée, le cheval se remet immédiatement à mastiquer, déglutir et lécher. Cette impossibilité d’exprimer des comportements naturels est considérée comme une réelle source de stress pour le cheval.
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➡️ Une muserolle trop serrée peut déformer les os de la tête du cheval
Oui oui, vous lisez bien. Une muserolle trop serrée finit par déformer les os du crane. Et ça n’est pas rare du tout. Vous avez d’ailleurs très certainement déjà croisé des chevaux avec une déformation marquée au niveau de la muserolle. Or vous imaginez bien que, même si ça se fait sur le long terme, on ne déforme pas un os sans douleur.
Les lésions peuvent également être au niveau de la peau et des poils.
➡️ Une muserolle trop serrée comprime les nerfs, les veines et les artères de la face
En plus d’empêcher le cheval de respirer correctement à cause de l’appui sur le nez, les muserolles trop serrées vont comprimer les nerfs et les vaisseaux de la face.
En effet, les nerfs crâniens du cheval sortent du crâne du cheval par 2 “trous” appelés “foramen” : le foramen infra orbitaire et le foramen mentonnier. Les nerfs de la face (nerfs facial, infra-orbitaire et mentonnier) sont alors directement sous la peau. Le problème, c’est que les muserolles, même les muserolles anatomiques, coupent les trajets de ces nerfs.
Il en est de même pour l’artère et la veine faciale.
Ainsi, les muserolles trop serrées viennent comprimer les nerfs, artères et veines contre l’os.
Cela entraîne donc un engourdissement, ainsi qu’une potentielle baisse de la motricité de la face.
➡️ Une muserolle trop serrée peut créer des lésions buccales très douloureuses
Chez l’Homme, la table dentaire (le haut des dents, très grossièrement), est à peu près horizontale. Chez le cheval, ça n’est pas le cas. Leur table dentaire est oblique, suivant une ligne qui va de l’intérieur – haut, vers l’extérieur – bas. Ainsi les prémolaires et molaires du haut sont plus longues à l’extérieur.
Aussi, comme les dents des chevaux poussent continuellement, les dents du haut poussent vers l’extérieur et vers le bas. Ainsi, chez les chevaux dont la bouche n’est pas parfaitement entretenue, une muserolle trop serrée va venir pincer la peau de l’intérieur de la joue contre la dent, formant des blessures que l’on appelle « ulcères de la joue ».
De plus, la présence de surdents, en avant des prémolaire peut entraîner des blessures à la commissure des lèvres à cause d’un serrage trop important du noseband. En effet, le noseband va venir serrer la commissure des lèvres entre le mors et la dent de loup, entraînant une blessure très douloureuse.
➡️ Une muserolle trop serrée a un impact important sur la locomotion du cheval
Toutes les approches (l’approche du vétérinaire, de l’ostéopathe et de l’acupuncteur) conduisent à un lien entre la bouche et la locomotion, notamment grâce à une structure osseuse appelée l’os hyoïde.
En conséquence, les problèmes de bouche et les problèmes posturaux donc les problèmes locomoteurs sont très étroitement liés. C’est un phénomène très bien connu et documenté chez l’humain, si bien que régulièrement les podologues renvoient leurs patients chez le dentiste pour résoudre leurs problèmes posturaux en profondeur.
Ainsi, le fait que la mandibule du cheval soit restreinte dans ses mouvements à cause de la muserolle, et ce dans les 3 directions de l’espace, conduit à un dysfonctionnement de la bouche, des cervicales hautes et de l’hyoïde, donc des membres antérieurs. Il est donc clair que la locomotion en est impactée. Une baisse de performance s’ensuit donc indubitablement.
Quelle est l’utilité de la muserolle dans ce cas ?
La question se pose en effet. D’ailleurs, de plus en plus de cavaliers choisissent de retirer complètement la muserolle, comme le pratiquaient autrefois de nombreux grands cavaliers. Toutefois, l’absence de muserolle ne semble pas résoudre l’intégralité des problèmes puis qu’une étude faite sur plus de 3000 chevaux a montré que les chevaux montés sans muserolle présentaient plus de blessures dans la bouche que les chevaux montés avec une muserolle lâche.
En dehors de l’aspect esthétique de la muserolle, celle-ci peut être utile pour limiter l’ouverture excessive de la bouche du cheval, tout en permettant une ouverture suffisante pour que le cheval puisse mâcher et déglutir. Cela peut notamment être le cas lorsque la sécurité du couple est à privilégier, comme sur le cross par exemple.
La muserolle et son serrage excessif ne doivent en aucun cas être une solution à un problème de comportement de la part du cheval.
“La muserolle ne doit en aucun cas être une muselière”
Patrick Galloux, écuyer du Cadre Noir de Saumur
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Comment savoir si la muserolle de son cheval est trop serrée ?
On dit souvent que le réglage optimal est de 2 doigts entre le chanfrein et la muserolle. Le problème c’est que la taille des doigts varie beaucoup d’un individu à l’autre.
Les scientifiques ont donc regardé la circonférence du chanfrein bouche fermée et lorsque le cheval mâche. La différence de circonférence entre les deux est de 3 cm. Il est donc conseillé de pouvoir passer au moins 2 doigts entre le chanfrein et la muserolle.
Attention, la mesure doit toujours s’effectuer au-dessus du chanfrein, et non sous la mandibule.
L’ISES (International Society for Equitation Science) a d’ailleurs commercialisé une jauge qui permet de s’assurer que la muserolle n’est pas trop serrée. Si vous êtes capable de glisser la jauge jusqu’au trait sans forcer, c’est que la muserolle est bien réglée.
Certaines observations peuvent vous indiquer que la muserolle est trop serrée. C’est le cas notamment de ces chevaux qui bavent excessivement, particulièrement ceux qui bavent sans faire de mousse. En effet, quand la muserolle est trop serrée, le cheval ne peut plus avaler sa salive. Il se met alors à baver sans pouvoir la retenir.
Pour rappel, un bon niveau de salivation se voit à l’effet “rouge à lèvres”. La salive un peu moussante se met tout juste au bord des lèvres du cheval, pas plus. Au-delà, ce peut être considéré comme une salivation excessive, signe d’une muserolle trop serrée ou d’une embouchure non adaptée.
Comment mieux gérer les comportements indésirables sans serrer la muserolle de son cheval ?
A ce stade, vous commencerez peut-être à être convaincu qu’il faut serrer moins la muserolle de votre cheval. Pour autant, il est possible que vous redoutiez certains comportements indésirables de la part de votre cheval avec ces nouveaux réglages.
Voici quelques conseils pour vous aider à gérer cela sereinement.
Essayez, vous verrez !
D’abord, vous ne risquez pas grand chose à essayer, sur quelques séances (de plat dans un premier temps), de desserrer franchement la muserolle. Cette petite expérience vous aidera à identifier les changements de comportement de votre cheval. Vous verrez que, peut-être, celui-ci sera plus détendu, qu’il machouillera un peu plus.
Dentiste, bitfitter et ostéopathe, le trio de choc
Si jamais vous constatez que votre cheval ouvre beaucoup trop la bouche, qu’il sort la langue ou qu’il est trop dur, alors nous vous conseillons très fortement de faire appel à un dentiste équin pour s’assurer que la bouche de votre cheval est en bon état, ainsi qu’à un bitfitter.
Cette profession commence tout juste à percer en France. Ces personnes sont spécialisées dans l’adaptation du filet et du mors à la morphologie de votre cheval. Vous serez surpris des changements radicaux et extrêmement rapides que peuvent provoquer un changement de filet et d’embouchure.
(Et ne croyez pas que vous pouvez vous improviser Bitfitter avec les quelques mors que vous avez chez vous. Quand vous verrez la quantité de matériel qu’ils ont et la finesse des réglages qu’ils font, vous comprendrez pourquoi c’est un métier à part entière. 😉)
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En complément de la visite du dentiste et du bitfitter, la visite d’un ostéopathe peut être un vrai plus. Comme vous l’avez vu plus haut, les conséquences physiques du serrage de la muserolle sont importantes. L’ostéopathe peut aider à remettre votre cheval d’aplomb. Aussi, certains comportements indésirables masqués par une muserolle trop serrée (et qui peuvent donc revenir en desserrant la muserolle) peuvent être liés à des troubles musculo squelettiques que l’ostéopathe peut aider à résoudre.
Enfin, un cheval en bonne santé et en bonne condition physique, avec un matériel adapté à sa morphologie, qui continue pourtant à présenter des comportements indésirables au travail, doit amener à une remise en question de la justesse et de la finesse des actions du cavalier. (C’est plus long et plus difficile mais ça coûte moins cher…)
Conclusion
Quelle que soit l’approche ou la méthode utilisée (comportementalistes, vétérinaires, dentistes, ou même les grands cavaliers fondateurs de l’équitation, les ostéopathes et les acupuncteurs, non développés ici), tous s’accordent sur ce point : les muserolles serrées sont néfastes pour le cheval. Les preuves scientifiques, validées, sont là. Les raisons qui ont poussé les cavaliers à serrer leurs muserolles peuvent toutes être solutionnées autrement que par l’utilisation de cette méthode douloureuse et stressante pour le cheval.
Il est donc grand temps que nous, cavaliers, nous emparions de cela, et que nous dépassions nos craintes et nos difficultés que l’on pensait être résolues par le serrage de la muserolle.
Alors essayez. Dès votre prochaine séance, desserrez votre muserolle, laissez 3 cm de libre entre le chanfrein et la muserolle, et observez les résultats. Vous serez probablement surpris.
A bientôt pour un prochain article,
Camille Saute
Cofondatrice d’Equisense
Ingénieure en biomécanique et biomédical
Bibliographie
Galloux, P., & Burgaud, I. (2020). La muserolle : choix, emploi et serrage. Equipedia.
Galloux, P., & Burgaud, I. (2020). La muserolle : la serrer, une habitude contre nature. Equipedia.