5 min pour comprendre les différences d’action entre les mors
Mettre un mors dans la bouche de son cheval c’est devenu une habitude tellement ancrée qu’on en oublie parfois que cette barre en métal est tout sauf anodine. De nombreux articles fleurissent sur la toile pour dire qu’un mors ça fait mal, en étant d’ailleurs parfois très culpabilisants quant à leur utilisation. Pour autant, rares sont les articles qui expliquent comment les mors agissent pour vous aider à mieux les choisir.
Nous ne parlerons pas ici des solutions biteless (sans mors) pour une question de longueur de l’article. Toutefois, ce sujet pourra être abordé plus tard. Ce qu’on va aborder comme question c’est plutôt : Comment agissent les différents mors ? Pourquoi choisir tel ou tel type de mors en fonction de mon cheval ? Comment savoir si le mors, que j’ai, convient à mon cheval ? Et le tout, sans prendre parti pour une solution ou une autre.
Un grand merci à Géraldine Vandevenne, bitfitteuse, de m’avoir relue et corrigée 🙂
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Table des matières
- Sur quelles structures anatomiques le mors agit-il ?
- Comment choisir un mors adapté à la bouche de mon cheval ?
- Les mors simples, ça agit comment ?
- Pourquoi les canons ont-ils des formes bizarres ?
- Et ça change quoi la forme des anneaux ?
- Et c’est quoi l’action d’un Pessoa ou Pelham ?
- A quoi servent les différents matériaux sur les mors ?
- Conclusion
Sur quelles structures anatomiques le mors agit-il ?
Le mors, placé comme il est dans la bouche, repose sur la barre. C’est cet espace sans dent qui se trouve entre les incisives et les molaires. L’action du mors repose sur des points de contact anatomique clés, qui sont très sensibles :
- la langue, musclée, qui est plus sensible aux pincements qu’aux pressions, et qui est plus ou moins imposante selon les chevaux
- les commissures des lèvres sont un peu plus sensibles
- les barres qui elles sont très très sensibles. C’est en fait une muqueuse qui repose presque directement sur l’os de la mandibule qui lui est tranchant…
- Enfin, le nerf mandibulaire qui est extrêmement sensible. Il l’est d’autant plus lorsqu’il est comprimé entre l’os du menton et une gourmette. D’où l’intérêt de mettre une protection en cuir (le caoutchouc se tord et est souvent trop épais). On y reviendra plus tard.
On peut donc juger de la sévérité du mors sans même avoir à s’en servir, simplement en évaluant l’impact de chaque partie du mors sur les différents points d’application. N’oubliez pas : les chevaux ont la même sensibilité que nous dans la bouche !
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Comment choisir un mors adapté à la bouche de mon cheval ?
Bonne question, qu’on ne se pose pas toujours suffisamment. On pense beaucoup à l’action que l’on recherche, mais il est important qu’il soit adapté à la bouche. Voilà 3 points à regarder attentivement :
- la taille du mors (en mm) doit être choisie en fonction du type d’anneaux.
- Les mors à anneaux « libres » doivent dépasser de 5 mm de chaque côté de la bouche (il y a des risques de pincement de peau sinon).
- Les mors à anneaux « fixes » doivent tout juste dépasser de deux millimètres environ
- l’épaisseur du canon doit être adaptée à la bouche. Pour cela, ouvrez les lèvres de votre cheval au niveau des barres quand il a la bouche fermée. Le canon ne doit pas être plus gros que l’espace entre les deux barres. Sinon le cheval ne peut pas fermer la bouche tout simplement. L’épaisseur du canon doit également tenir compte de l’épaisseur de la langue et donc de l’espace disponible dans la bouche.
- la hauteur du mors (que vous allez gérer avec les montants du filet). Elle doit être réglée de manière à ce que le mors ne touche pas les dents (incisives ou molaires). Ainsi, selon la taille de la bouche du cheval, vous aurez plus ou moins de plis à la commissure. En général on compte 2 plis, mais c’est à adapter au cheval. Certains chevaux ont une bouche qui nécessite 0 plis, d’autres en auront 4.
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Les mors simples, ça agit comment ?
On rentre dans le vif du sujet. Un mors simple (donc un seul anneau et sans gourmette) agit principalement sur la commissure des lèvres. Mais, attention ça dépend de l’angle tête encolure. Ou plutôt, ça dépend de l’angle entre sa bouche et vos mains !
Plus la bouche sera parallèle à vos mains (descente d’encolure ou mains hautes), plus l’action se fera sur la commissure des lèvres. Si la bouche est perpendiculaire (cheval très enfermé ou mains très basses) l’action se fera uniquement sur les barres.
Pourquoi les canons ont-ils des formes bizarres ?
La forme du canon change tout en fait. Déjà il y a le nombre de “brisures” qui va être important.
Les mors droits
Un canon droit agit plus sur la langue. L’amortissement de la langue fait que les barres sont peu touchées. Ces mors sont toutefois peu précis parce que les deux côtés ne sont pas dissociés. Ils sont réputés plus doux mais tous les chevaux ne supportent pas la pression sur la langue.
Les effets sur la langue ont d’ailleurs de grosses répercutions sur la locomotion. En effet, la langue est rattachée à l’os hyoïde. De ce dernier partent des muscles en direction du sternum et il est articulé avec le crâne. Donc la langue ne se limite pas qu’à la bouche …
Les mors brisés
Les mors brisés (simple ou double brisure), vont se plier en leur milieu du fait d’une action de rênes. Selon la forme du mors et la position de la main par rapport à la bouche, ils peuvent former une pointe qui vient appuyer sur le palais du cheval. Toutefois, leur action sur les barres sera différente.
Les mors à simple brisure peuvent avoir un effet « casse-noisette » plus prononcé selon la position de la main par rapport à la bouche. Cela engendre une pression sur les barres du cheval en « libérant » la langue.
Quant aux mors à double brisure, ils sont plus précis puisque les deux côtés sont plus dissociés qu’avec un mors à canon droit ou en simple brisure.
Les autres types de mors
Il y a aussi des mors à jouets (ou à roulettes) pour aider le cheval à se décontracter. Des anti-passe-langue pour « anti-passer-la-langue ». Toutefois, attention !! La plupart du temps si votre cheval passe la langue c’est qu’il a mal ! Donc l’empêcher de passer la langue ne résoudra pas forcément le problème.
Et il y a aussi des mors à passage de langue pour libérer la langue mais du coup ça augmente la pression sur les barres. Ces derniers ont toutefois un passage de langue relativement étroit, ne libérant donc forcément l’intégralité de la langue.
Il est aussi à rappeler que plus le canon est fin, plus l’action est sévère. En effet, la zone de contact est réduit donc la pression augmente. D’ailleurs, petit rappel de physique élémentaire : Pression = Force / Surface. Donc pour faire diminuer la pression, soit vous diminuez la force, soit vous augmentez la surface de contact.
Du coup pour les canons torsadés à bords plus ou moins tranchants, la sévérité peut devenir extrême … 😱
Et ça change quoi la forme des anneaux ?
Selon le type de mors, les anneaux vont coulisser ou pas.
Quand ils ne coulissent pas, comme le mors à olives ou le Verdun, le temps de latence entre l’action du cavalier et l’effet sur la bouche est diminué. C’est ce qui les rend plus précis.
La forme des anneaux en eux mêmes (mors Verdun, mors à aiguilles, mors à spatules) va influer sur la facilité à diriger le cheval. Plus l’anneau est grand (grandes aiguilles ou grand D pour un verdun) plus l’effet de la main du cavalier sera répercuté sur une grande zone de la bouche du cheval et donc plus la direction sera aisée.
Pour les mors à spatules, le fait que la spatule soit plate adoucit l’action (zone de contact augmentée donc pression diminuée). D’ailleurs, si comme moi vous vous êtes posé la question pendant longtemps : si les spatules sont vers la bas, ça permet simplement que le mors ne sorte pas de la bouche du cheval. En revanche si les spatules sont vers le haut, ça fait le même effet qu’un mors à aiguilles.
Quand il y a plusieurs anneaux, là on change de registre.
Et c’est quoi l’action d’un Pessoa ou Pelham ?
Ce qui importe le plus dans ces mors là, c’est la présence ou non d’une gourmette.
Les mors sans gourmette (Baucher, Pessoa …)
Pour les mors où il n’y a pas de gourmette (mors Baucher, Pessoa…) quand le cavalier aura une action de main, l’anneau du haut (là où le montant du filet est accroché) va basculer vers l’avant. Ceci a pour conséquence d’appuyer sur la nuque et donc de la faire céder. Le mors va ainsi remonter dans la bouche pour agir sur la commissure des lèvres. ==> C’est ça l’effet releveur d’un mors .
Cet effet est d’autant plus fort que la branche vers le haut est longue ou que l’anneau à un diamètre important. Plus elle est longue, plus le mors va remonter et plus l’action sur la nuque sera forte.
Les mors à gourmette (Pelham, Goyo, Lhotte…)
Tandis que quand il y a une gourmette (mors Pelham, Lhotte …), l’anneau du haut va basculer vers l’avant donc va engendrer une pression sur la nuque de la même façon. Toutefois le mors ne pourra pas remonter vers le haut à cause du point d’appui qu’est la gourmette. A la place il va appuyer d’autant plus fort sur les barres, et la gourmette va comprimer l’os et le nerf mandibulaire. Le cheval est obligé de fermer l’angle tête encolure pour se soustraire à cet effet très dur. ==> c’est l’effet abaisseur.
Et donc plus la fixation de la rêne se fait basse (donc plus la branche est longue), plus l’action est forte. Pour rappel également, une gourmette bien réglée, c’est une gourmette qui se tend quand la branche fait un angle de 45° avec la bouche.
A quoi servent les différents matériaux sur les mors ?
Effectivement il y a plein de matériaux différents. L’acier, le cuivre, le caoutchouc, la résine …
Ce qu’il faut noter c’est que :
- le caoutchouc noir peut entraîner des brulures (il chauffe sous l’effet des frottements)
- les résines s’abiment vite et peuvent provoquer des lésions sur les muqueuses
- le cuir est souvent trop gros et les coutures peuvent être désagréables. De plus le cuir est traité chimiquement. Pas top …
- le cuivre (jamais utilisé seul, mais uniquement en alliages) a pour effet de faire saliver le cheval et de l’inciter à mâchouiller
- le nickel, utilisé dans de nombreux alliages (comme le laiton), peut être allergène pour certains chevaux
- les alliages de manière plus générale sont plus doux au contact, certains conduisent mieux la chaleur. Certains sont également plus légers.
Petit conseil, quand il fait froid dehors, pensez à réchauffer le mors avant de le mettre dans sa bouche. Ca n’est pas très agréable l’effet glaçon !
Conclusion
Le choix du type de mors est très important et doit être fait en tenant compte des préférences de vos chevaux, et de leur anatomie propre également. Certains mors dit « doux » peuvent ne pas être supportés par votre cheval. Il vaut donc mieux un mors plus sévère mais bien adapté et bien supporté par le cheval, qu’un mors « doux » mal ajusté et mal supporté.
Notons également que le filet a également un impact important sur la décontraction de votre cheval. Si vous avez le moindre doute, n’hésitez pas à vous rapprocher d’un bitfitter. C’est leur métier ! Leur but sera de trouver le bon compromis pour le cheval et le cavalier en tenant compte de l’âge, du niveau et de la discipline. Le tout en essayant d’éviter le cercle vicieux des mors de plus en plus sévères.
Un mors sera doux s’il convient et au cheval et à la main du cavalier.
Le problème de la main dure
L’ajustement, c’est important, le type de mors c’est important, le matériau c’est important, mais la main qu’il y a au bout l’est encore plus. Une étude l’a montré : si la tension dans les rênes est trop importante, le comportement (grincer des dents, passer la langue, retirer la langue …) continuera, même en changeant de mors (Manfredi et al., 2010). Donc si votre cheval ouvre la bouche sur son mors ou qu’il grince des dents, ou qu’il se défend, posez vous ces questions : son mors est-il adapté et bien ajusté ? a-t-il mal quelque part ? Mais surtout : peut-être ai-je la main trop dure ?
En savoir plus : Au secours !! J’ai la main dure !!
Ce qui est sûr c’est que si vous écartez les problèmes liés à l’ajustement et au choix du mors, serrer plus fort la muserolle ou mettre un noseband ne résoudra pas le problème. Pas de pied pas de cheval, mais pas de bouche pas de cheval non plus. Donc à mors dur, main douce, et à mors doux … main douce aussi !
« Le fait d’avoir une multitude d’artifices pour canaliser le cheval ne permet plus de l’entendre. On ne peut pas écouter un cheval que l’on fait taire » Vicomte d’Aure.
Camille Saute
Responsable R&D chez Equisense
Bibliographie
J.M. Manfredi, D. Rosenstein, J.L. Lanovaz, S. Nauwelaerts, H.M. Clayton, 2010, Fluoroscopic study of oral behaviours in response to the presence of a bit and the effects of rein tension, Comparative Exercise Physiology 6(4); 143–148
Delavenna V., 2003, Les mors et enrênements : mode d’action, utilisation, application à la biomécanique et au travail du cheval, thèse vétérinaire, Université Claude Bernard Lyon I