Aliment “sans céréales” pour chevaux : intérêt nutritionnel ou marketing ?
Les céréales ont mauvaise presse ces derniers temps ! On les dit en décalage avec l’alimentation naturelle du cheval, inadaptées à son système digestif et certains parlent même d’allergies. Si, historiquement, elles ont montré leurs intérêts nutritionnels dans l’alimentation du cheval moderne (à condition d’être bien utilisées), le retour aux sources s’impose aujourd’hui comme une attente sociétale, y compris en matière d’alimentation équine. L’arrivée sur le marché d’aliments sans céréales pour chevaux répond donc sans conteste à une attente des consommateurs. Mais au niveau nutritionnel, y gagne-t-on vraiment ? Rien n’est moins sûr…
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Table des matières
Comment les céréales sont-elles arrivées dans les mangeoires des chevaux ? 🐴
La domestication du cheval et son exploitation par l’Homme à des fins guerrières ou agricoles (bien avant son exploitation pour le sport) a imposé le recours aux céréales. En effet, les fourrages disponibles (surtout dans des prés clôturés) ne suffisaient pas à couvrir les besoins de chevaux physiquement sollicités par l’Homme. De plus, l’ingestion des céréales est plus rapide que celle du foin. Or, il fallait réduire la durée de prise alimentaire pour gagner du temps. C’est donc tout naturellement que l’être humain s’est tourné vers la distribution de céréales, plus concentrées en énergie que les fourrages, et ce malgré leurs inconvénients. 😕
Céréales, je vous déclare coupables de… 👉
#1- Être trop riches en amidon
Comme on dit, on a toujours les défauts de ses qualités… Et le défaut majeur des céréales, qui est aussi ce qui justifie son incorporation, c’est leur grande richesse en amidon, qui n’est autre qu’un sucre complexe (le même que vous trouvez dans vos pâtes ou votre riz).
Or, l’amidon en excès favorise l’apparition de certaines pathologies : ulcères gastriques, coliques digestives, fourbures, et joue comme facteur déclencheur ou aggravant pour des maladies comme les myosites ou les maladies métaboliques (Cushing, Syndrome métabolique équin). Joli florilège, j’en conviens 😅!
Avoine, maïs, orge : trois aliments riches en amidon
#2- Avoir trop peu de protéines
La teneur en protéines des céréales est relativement faible et leur efficacité alimentaire est moyenne. Or ces dernières sont primordiales pour la synthèse des tissus.
#3- Présenter des déséquilibres en acides gras essentiels
Côté matières grasses, les céréales sont trop riches en omégas 6 par rapport aux omégas 3, ce qui oriente le métabolisme des acides gras vers leur stockage et non vers leur utilisation à des fins énergétiques.
#4- Présenter des carences et déséquilibres en micronutriments
Les céréales présentent de réels déséquilibres en micronutriments (minéraux, oligos et vitamines). Par exemple, elles sont naturellement pauvres en calcium et riches en phosphore (déséquilibre du rapport phospho-calcique), ce qui ne permet pas de garantir un statut ostéo-articulaire optimal.
Autre exemple : leur teneur en vitamines décline rapidement lorsqu’on les stocke.
#5- Provoquer des allergies (info ou intox ?)
On leur reproche également parfois de provoquer des allergies. Il faut savoir que même si on ne connaît pas exactement le taux d’allergiques dans la population équine, on estime que ce chiffre est faible. De plus, les études montrent que la fiabilité des tests sanguins de détection d’allergies alimentaires utilisés sur le marché est très discutable [1]. Rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que les céréales présentent un risque allergique élevé pour le cheval.
Ça fait beaucoup vous allez me dire ! Et vous avez raison, une mauvaise utilisation des céréales impacte la santé des équidés et leur utilisation en l’état ne suffit pas, à bien des égards, à couvrir leurs besoins nutritionnels. Mais pour autant, faut-il les écarter complètement de la ration du cheval moderne ?
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L’appellation “sans céréales”, un vrai fourre-tout 🍲
Pour répondre à cette question, voyons ce qui se cache derrière cette appellation.
D’abord, cette dernière n’est pas règlementée. Par conséquent, le seul point commun des aliments chevaux portant cette mention est… (attention c’est un scoop 😏) qu’ils ne contiennent pas de céréales, au sens usuel et non botanique du terme.
Ainsi, selon les produits, on pourra trouver des germes de maïs ou des cosses d’avoine. La frontière étymologique du terme paraît donc assez floue, laissant le champ libre à toutes interprétations.
Par ailleurs, il y a des différences notables d’un aliment à un autre. Vous en trouverez des versions très différentes (et pas du tout équivalentes) sur le marché :
- Les flocons de foin ou autres granulés de luzerne : il s’agit en réalité de fourrage mis sous forme d’aliment. C’est un peu comme si on écrivait “aliment végétarien” sur une brique de soupe de légumes (déjà vu…😲). Notons qu’un cheval préfèrera mâcher des fibres longues (foin ou mélange de fibres sélectionnées), autant pour son hygiène digestive que pour son confort psychique.
- Les correcteurs de fourrage : dans ce cas, le positionnement est pour le moins curieux, car il induit le consommateur en erreur… Il s’agit en fait de l’équivalent d’un complément minéral et vitaminé (CMV) destiné aux chevaux dont les besoins en énergie et protéines sont déjà couverts par les apports de fourrage (herbe et/ou foin). A la rigueur, le terme “CMV sans céréales” serait plus approprié puisqu’il s’agit bien d’aliment minéral (il existe des CMV contenant une base de céréales). Dans ce cas, les teneurs en vitamines et oligo-éléments sont élevées : il convient donc de respecter les doses préconisées pour éviter les intoxications.
- Les “vrais aliments” ne contenant pas de céréales : à l’inverse des deux précédents, il s’agit bien là d’aliments au sens où on l’entend. Ils sont peu énergétiques et souvent préconisés pour des chevaux malades (troubles métaboliques surtout).
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L’engagement énergétique d’un aliment 🔥
Mettons-nous dans le cas de figure où les besoins énergétiques de votre cheval ne sont pas couverts par le foin dont vous disposez. L’aliment que vous donnez à votre cheval doit donc tenir un engagement énergétique. Or, il y a trois manières d’apporter de l’énergie à un cheval : les glucides (amidon et sucres), les lipides (matières grasses) et les fibres (cellulose). Ces trois sources d’énergie ne sont pas équivalentes, mais plutôt complémentaires :
- Energie glucidique : Assimilée rapidement et efficacement, c’est le carburant des efforts courts et intenses. Elle est imposée par le travail.
- Energie lipidique : Très bien assimilée par le cheval, elle a une disponibilité moins réactive pour l’organisme. Elle s’impose donc comme le carburant des efforts longs ou répétés dans le temps.
- Energie fibre : Libérée lentement, c’est la source privilégiée des efforts de demi-fond. Elle présente l’inconvénient d’être beaucoup moins énergétiques au kilo que l’amidon (elle est donc insuffisamment concentrée pour les efforts intenses).
Si on veut fabriquer un vrai aliment sans céréales (je ne parle pas ici des flocons de foin et CMV sans céréales évoqués ci-dessus) avec la densité d’un aliment classique, on est obligé de substituer l’énergie glucidique (sans les céréales, on a de fait moins d’amidon) par de l’énergie lipidique et des fibres.
A la louche, on divise par deux les glucides, on augmente les lipides et on utilise les fibres comme facteur de dilution pour faire du volume (et ainsi avoir la même densité). En faisant cela, on peut tenir un certain niveau énergétique. Mais de fait, avec moins de glucides, on diminue nettement le carburant des efforts courts. Cela convient à des chevaux ayant une petite activité (loisir, un peu de sport) mais c’est difficilement compatible avec des chevaux qui ont une activité sportive conséquente.
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Vos motivations, pilier central de la réflexion
Attardons-nous sur les motivations qui pourraient vous pousser à distribuer de l’aliment sans céréales plutôt qu’un aliment classique.
#1- Je veux un aliment pauvre en amidon
Pour limiter les risques associés aux pathologies que j’ai citées plus haut, vous souhaitez limiter la quantité d’amidon dans la ration de votre cheval. Les aliments sans céréales ont des taux d’amidon + sucres très bas (de l’ordre de 8-10%). Ils répondent donc à ce besoin.
Par contre, comme nous l’avons vu plus haut : pas d’activité musculaire sans énergie glucidique et pas d’énergie glucidique sans amidon… Ces aliments ne sont donc pas à même de tenir un engagement énergétique important et conviennent mal aux chevaux de sport.
⏩ Que faire alors pour baisser le taux d’amidon dans le cas où votre cheval a une activité sportive intense ? 🧐
En fait, il ne faut pas raisonner seulement en pourcentage d’amidon présent dans un aliment mais en quantité globale dans la ration. La seule donnée vraiment intéressante est la quantité d’amidon par jour et par repas ! Il a été démontré qu’une quantité d’amidon inférieure à 2 g par kilo de poids vif par jour (soit 1 000 g/jour pour un cheval de 500 kg) et inférieure à 1 g par kilo de poids vif par repas diminuait sensiblement les risques d’apparition des pathologies sus-citées [2]. Pour un cheval particulièrement sensible à une des pathologies liées à l’amidon, vous pouvez même diviser cette quantité de moitié ! Respecter cette précaution est tout à fait possible avec un grand nombre d’aliments classiques disponibles sur le marché.
Pour diminuer les risques de pathologies liées aux céréales, il faut que le cheval absorbe :
✅ moins de 2 g d’amidon / kg de poids vif / jour
✅ moins de 1 g d’amidon / kg de poids vif / repas
#2- Je veux un aliment “allégé”
Ce terme est ambigu : vous souhaitez un aliment allégé en quoi ? En sucres, en gras, en énergie ? On vient de voir avec l’exemple précédent que si on supprime les glucides, il faut bien les remplacer par autre chose. De ce fait, on a augmenté la teneur en matières grasses. En d’autres termes, on a diminué la quantité de pâtes de moitié et doublé la crème fraîche … Nous ne sommes pas vraiment dans le cas d’un aliment « allégé”. En revanche, nous avons bien un aliment “allégé en sucres”.
⚠️ Les aliments « allégés en sucre » peuvent être plus riches en lipides ! C’est comme « diviser par deux les pâtes et multiplier par deux la crème fraiche »
Autre travers courant des aliments « allégés » : il est démontré qu’on a tendance à en donner plus ! Pour la restriction énergétique, il faudra repasser… Pour alléger une ration d’un point de vue énergétique, la meilleure méthode reste de diminuer la quantité d’aliment distribuée.
En cas de diminution importante, et ce pour ne pas engendrer de carences en micronutriments, il est parfois judicieux de choisir un aliment moins concentré en énergie mais garantissant des apports adaptés en minéraux, vitamines et oligo-éléments.
#3- Je veux un aliment naturel 🍎🥕
Vous voulez revenir à une alimentation plus naturelle pour votre équidé. Voyons donc les ingrédients que contiennent les aliments “sans céréales” :
- Des fibres pour offrir un certain volume à l’aliment (même densité qu’un aliment classique) : de l’herbe hachée séchée par exemple, ou de la luzerne ou encore de la pulpe de betterave.
- De la matière grasse, sous forme d’huiles ou de graines d’oléagineux. Le lin est particulièrement indiqué pour son excellent ratio omégas 6/omégas 3.
- Des protéines : les graines de protéagineux et les tourteaux sont utiles. Le soja est particulièrement intéressant car il apporte à la fois des lipides et des protéines.
- Des additifs : des compléments minéraux (phosphate, sel par exemple), des oligo-éléments et des vitamines ; des levures.
- Quelques condiments naturels pour la diversité alimentaire : pommes et carottes (en chips, c’est plus chic), pépins de raisins, herbes aromatiques, ail, topinambours, extraits de fleurs et j’en passe…
Pas grand chose dans tout ça ne fait partie de l’alimentation du cheval dans la nature 😕. Sachez aussi que ces ingrédients se retrouvent fréquemment dans des aliments classiques. Et ne perdons pas de vue que la seule alimentation valablement naturelle pour le cheval, c’est l’herbe à pâturer 15 h par jour, sur des surfaces de plusieurs hectares… 🌱
Pour conclure…
C’est vrai, les céréales utilisées en l’état ne peuvent pas à elles seules, en complément du fourrage, constituer une ration équilibrée. Mais on peut tout à fait les rendre intéressantes en les incorporant dans des proportions précises et en les associant à d’autres matières premières et compléments. Cette élaboration d’aliment complet nécessite bien entendu une connaissance pointue du profil nutritionnel de chaque matière première.
L’aliment sans céréales ? Pourquoi pas. ⚠️ Mais du vrai ⚠️. On oublie donc les CMV déguisés et les croquettes de foin. Et pour des cas de figure précis, comme les chevaux :
- ayant une activité physique restreinte
- vraisemblablement allergique à une céréale (même si c’est rare)
- avec des troubles métaboliques (Syndrome métabolique équin ou Cushing).
Les granulés de fourrages peuvent, quant à eux, être utiles lorsqu’on a du mal à s’approvisionner en foin, pour un vieux cheval qui a du mal à mastiquer ou encore pour un cheval convalescent pour qui il est difficile de se réalimenter.
Mais il convient d’appeler un chat un chat. L’important pour vous est d’être curieux et de vous servir de votre esprit critique pour faire la différence entre ce qui relève du marketing et ce qui présente réellement un intérêt nutritionnel pour votre cheval. 👌
Marine Slove,
Vétérinaire et Nutritionniste Destrier
Bibliographie
[1] Dupont, S. et al. “A commercially available immunoglobulin E-based test for food allergy gives inconsistent results in healthy ponies”, Equine Vet. J., 2014
[2] Luthersson et al., “Risk factors associated with equine gastric ulceration syndrome in 201 horses in Denmark”, Equine Vet. J., 41 (7), 625-630, 2009
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Image de couverture : Photo by Melissa Askew on Unsplash