Le sevrage du poulain, une fausse bonne idée ?
Et si on faisait fausse route en séparant volontairement la mère de son poulain ? Pourrait-on imaginer quelques instants abandonner le sevrage artificiel ? Voyons un peu comment on pourrait procéder pour rendre ce moment plus doux pour le poulain.
En mars dernier, pour la 3ème année consécutive, je me rendais à la Journée de la Recherche Equine à Paris. Pour la 3ème année consécutive, une présentation était dédiée au sevrage du poulain. Et pour la 3ème année consécutive, les chercheuses nous rappelaient que le sevrage artificiel était une source de stress très importante pour le poulain.
J’ai donc fait appel à Séverine Henry, chercheuse en éthologie animale à l’université de Rennes 1 et auteur de nombreuses publications sur le sujet pour m’épauler dans la rédaction de cet article.
Table des matières
- Le sevrage du poulain : un moment de stress colossal pour la mère et le poulain 😧
- Comment se passe le sevrage du poulain dans la nature ? 🧐
- L’âge du sevrage du poulain dépend de plusieurs facteurs
- Le sevrage naturel est-il facilement adaptable au mode de vie des chevaux “domestiqués” ?
- 4 méthodes pour rendre le sevrage du poulain moins brutal
- Un mot sur le sevrage progressif
- Conclusion
Le sevrage du poulain : un moment de stress colossal pour la mère et le poulain 😧
Souvent dans les élevages, les poulains sont séparés de leurs mères vers 6 mois. Parfois même plus tôt. La plupart du temps, cette séparation n’est pas préparée.
D’ailleurs, c’est un moment privilégié dans la vie du poulain pour l’apparition de stéréotypies (tics). Les chiffres sont édifiants :
- 10% des poulains développent des stéréotypies orales dans le mois qui suit le sevrage
- 30% des poulains mangent le bois de leur box 3 mois après le sevrage
- 10% des poulains développent des stéréotypies type tic à l’ours ou déambulation dans les 10 mois qui suivent le sevrage
Or, les raisons qui nous poussent à faire le sevrage à 6 mois relèvent plus de l’habitude et de la tradition, peut-être même de fausses croyances qu’autre chose. En effet, à l’état naturel, la situation est bien différente …
Comment se passe le sevrage du poulain dans la nature ? 🧐
A l’état naturel, le sevrage du poulain se fait spontanément vers l’âge de 9-11 mois. Souvent, ça correspond au moment où la mère va avoir son prochain poulain. D’ailleurs, à l’état naturel, le sevrage ne correspond pas à une séparation franche entre la mère et le poulain. Le poulain va simplement arrêter complètement de téter 🍼. Il restera encore quelques années au côté de sa mère.
⏩ En somme, le sevrage du poulain ne se fait que sur le plan alimentaire, pas sur le plan relationnel ! ⏪
L’autonomie alimentaire du poulain
En fait, l’autonomie alimentaire du poulain se fait très progressivement. Le poulain tète de moins en moins (une fois toutes les deux heures à partir de 8 mois) et mange de plus en plus d’aliments solides. De son côté, la mère peut montrer des signes de rejet lors des tentatives de tétée de son poulain. A l’inverse, certaines restent très permissives.
La relation avec la mère
Sur le plan relationnel, le poulain s’éloigne de plus en plus de sa mère (60 à 80% de son temps à plus de 5m de sa mère). Pour autant, jusqu’à ce que le jeune quitte le groupe familial vers 2-3 ans, il restera très proche de sa mère. En effet, elle reste son partenaire social privilégié et un élément sécurisant au sein du groupe. A 1 an, le jeune reste plus des ⅔ de son temps à moins de 45m de sa mère et celle-ci reste un de ses voisins préférés parmi tous les autres partenaires possibles de son groupe !
L’âge du sevrage du poulain dépend de plusieurs facteurs
Bien que l’âge moyen du sevrage en milieu naturel est de 10 mois, il peut y avoir de grosses variations selon différents facteurs :
- si la jument a eu deux poulains d’affilée, le deuxième poulain sera sevré vers 8,5 mois
- si la jument n’attend pas de poulain à la suite ou perd son nouveau poulain, elle allaitera plus longtemps (jusqu’à 18 mois au moins)(#tanguy)
👉 Ce qui est sûr c’est qu’à l’état naturel, le sevrage (soit l’arrêt de la tétée) à 6 mois est quasiment inexistant sauf circonstances exceptionnelles. 👈
Le sevrage naturel est-il facilement adaptable au mode de vie des chevaux “domestiqués” ?
Du coup vous allez probablement vous dire “OUI MAIS … avec des chevaux domestiqués, dans des élevages de chevaux de sport, c’est pas faisable”.
Pourquoi organise-t-on le sevrage des poulains à 6 mois ?
En fait, il semblerait que le sevrage artificiel soit plus fait “par mesure de précaution” ou par habitude que par “praticité”.
On a souvent recours au sevrage artificiel pour :
- s’assurer que la mère ne perde pas trop d’état, surtout si elle est re-saillie rapidement
- s’assurer que le poulain consomme suffisamment d’aliments solides sans interférence de la mère
- que le poulain puisse être vendu rapidement
- pouvoir remettre la jument au travail rapidement
- pouvoir manipuler plus facilement le poulain
- éviter que le poulain saillisse sa mère ou une autre jument s’il est sexuellement précoce (oui ça peut arriver … les chevaux ne connaissent pas cette notion de l’inceste…) 🤢
📚 A lire aussi : Les 5 choses à savoir sur les chaleurs des juments
Les solutions possibles pour un sevrage spontané
Dans les faits, passer au sevrage spontané ne semble pas du tout infaisable, même dans le cadre de chevaux de sport. Il est vrai cependant que ça nécessite quelques petits ajustements. Prenons par exemple le fait de mettre des mangeoires sélectives, de laisser du fourrage en grande quantité à disposition 24h/24 pour s’assurer que la jument ne maigrisse pas, de castrer le poulain si nécessaire (observer son comportement)…
Dans l’éducation du poulain aussi des choses sont à revoir. Il s’agit ainsi d’utiliser beaucoup plus la mère pour montrer au poulain les bonnes réactions. Ainsi, certains éleveurs remettent les juments au travail avec leur poulain !
Témoignage d’une éleveuse qui pratique une forme de sevrage plus douce
Sophie Bolze est éleveuse de poneys Connemara, l’élevage Aluinn, situé dans le Loiret. Ses poneys sont bien connus puisque, entre autres, Podeenagh Aluinn a été deux fois médaillés aux championnats d’Europe en CCE, et Twinkle Toe Aluinn, médaillé d’or en CSO à la Coupe de Nations du BIP à Fontainebleau en 2018 🥇🏆.
“Depuis longtemps je pratique une forme de sevrage progressif avec mes poulains. Je ne fais pas de sevrage franc à 6 mois. Je trouve ça beaucoup trop stressant pour tout le monde. Ce que je fais c’est que j’habitue progressivement le poulain à être séparé de sa mère. Par exemple, je les mets dans deux boxes voisins pendant quelques dizaines de minutes chaque jour. La cloison entre les boxes leurs permettent de se voir et se sentir. Aussi, je mets les poulains au paddock sans leur mère dans la journée. Par contre ils y sont accompagnés d’autres juments ou d’autres vieux chevaux qui deviendront d’ailleurs leur compagnons de route jusqu’au débourrage.
👉 L’allaitement
Les juments allaitent leurs poulains jusqu’à très tard, même si elles sont pleines pour l’année qui suit. Alors oui ça coûte un peu plus cher en aliments et en foin parce que les juments doivent être suffisamment nourries pour l’allaitement et la gestation en parallèle. Mais au final je m’y retrouve vraiment au long terme puisqu’en faisant ainsi, mes poneys n’ont aucun problème de santé !
👉 L’apprentissage se fait avec la mère
Pour les premiers apprentissages, j’utilise beaucoup la mère. Je leur apprends comme ça à marcher en main, aller à la douche, aller dans l’étang, découvrir la carrière, passer sur le bidet … Tout se fait avec la mère. C’est très efficace, beaucoup plus rapide et les bénéfices se ressentent vraiment au débourrage.”
Sophie Bolze
Vous pouvez retrouver Sophie Bolze sur la page Facebook Elevage Aluinn ainsi que sur son site web
Toutefois, si vous estimez que le sevrage spontané n’est pas faisable chez vous, il existe des méthodes prouvées scientifiquement qui permettent de rendre le sevrage artificiel un peu moins brutal. Les voici.
4 méthodes pour rendre le sevrage du poulain moins brutal
#1 – La transition alimentaire 🍔 / 🥕
J’ai été très surprise en lisant ça, mais oui, l’alimentation du poulain a un impact sur le stress au moment du sevrage.
“Nicol et al. (2005) ont montré que les poulains nourris avec une alimentation riche en matière grasse et en fibres étaient plus calmes juste après le sevrage que des poulains nourris avec une alimentation riche en sucres et en amidon.”
Lansade et al., 2016
Donc, pensez à vérifier que votre poulain dispose de suffisamment de fourrage avant le sevrage ! L’une des solutions pour ça consiste à mettre des mangeoires sélectives, ou des “nourrisseurs sélectifs”. Ainsi, les poulains sont autonomes et ont accès eux aussi à du fourrage à volonté.
📚 En savoir plus : Les 3 erreurs à ne pas faire en nourrissant son cheval
#2 – Le sevrage en groupe 🐴🐴🐴🐴
Si vous avez la chance d’avoir plusieurs poulains en même temps, le mieux c’est de les sevrer en même temps. Si vous pouvez les laisser au paddock plutôt qu’en box c’est encore mieux.
Les poulains qui restent en box individuel ont beaucoup plus de troubles du comportement (tapent contre les murs, lèchent ou mordent les murs, se cabrent …). Tandis que les poulains qui restent ensemble au pré ont une répartition de leurs activité beaucoup plus proche de la norme.
En fait, au paddock, l’environnement étant plus hétérogène / moins pauvre, ils peuvent exprimer une plus grande variété de comportements et tombent beaucoup moins dans la stéréotypie. Ça tombe un peu sous le sens mais ça vaut le coup d’être mentionné.
Attention à l’agressivité ! 🥊
Par ailleurs, en situation de stress comme à la suite d’un sevrage artificiel, il est courant que l’agressivité entre jeunes augmente au moins temporairement. Leur laisser plus d’espace pour s’éloigner de leur copain “grincheux” limite donc les risques de blessures.
Toutefois, si vous n’avez pas d’autre choix que de les laisser au box mais que vous pouvez les mettre par paire, faites donc attention aux signes d’agressivité qui peuvent apparaître. D’ailleurs, il est préférable que les poulains se connaissent déjà avant le sevrage.
#3 – Le retrait progressif des mères
Dans le cas de troupeaux de poulains-poulinières, le fait de retirer les juments les unes après les autres (une par jour), s’est révélé moins stressant que de sevrer tout le monde d’un coup.
Bon OK, quand on n’a qu’un seul poulain par an … c’est plus compliqué ! D’ailleurs, les chiffres de la saison 2016-2017 montrent que sur 30 785 éleveurs, 80% possèdent 1 à 2 juments !
#4 – L’introduction d’adultes avec les poulains sevrés 👨👵👶
Vous pouvez également introduire de nouveaux adultes avec les poulains ! Ces adultes là permettent au groupe de poulains d’avoir un comportement plus proche de la normale 🙂
En effet, la présence d’adultes permet de diminuer le stress du sevrage des poulains par rapport à des poulains sevrés en groupe et sans adultes. Ils montrent moins de hennissements et moins longtemps. Le taux de cortisol salivaire est plus bas suite au stress aigu de la séparation maternelle. Il n’y pas de tentatives de tétées redirigées vers d’autres jeunes et pas non plus de diminution du temps passé à manger après le sevrage.
Aussi, ça permet de diminuer l’apparition de comportements aberrants et de maintenir une bonne cohésion sociale entre jeunes à long terme.
En fait, la présence d’adultes plus expérimentés permet de canaliser le comportement des jeunes. D’ailleurs, l’absence d’adultes dans l’environnement des poulains et des jeunes en condition domestique traditionnelle pourrait être responsable des taux d’agressions plus important observés chez jeunes domestiques par rapport aux jeunes vivant dans des conditions plus naturalistiques, c’est à dire des groupes hétérogènes avec des jeunes et adultes.
Un mot sur le sevrage progressif
Plusieurs études ont creusé la piste du sevrage progressif qui consiste à éloigner petit à petit les mères des jeunes (de quelques minutes à quelques heures par jour) jusqu’à une séparation complète franche.
Toutefois, les résultats de ces études sont contradictoires sur certains aspects, et certaines données sont manquantes pour faire un parallèle rigoureux entre les études. La conclusion sur cette méthode est donc difficile à faire pour l’instant.
Conclusion
A l’état naturel, le sevrage est très différent de ce qui est pratiqué en élevage. Le sevrage ne correspond pas à une séparation brutale mais à un arrêt de la tétée avec maintien de la proximité entre la mère et le jeune. Les poulains s’éloignent donc progressivement de leur mère et n’arrêtent de téter qu’aux alentours de 10 mois. Jusqu’à 2-3 ans, âge auquel ils vont constituer un nouveau groupe familial, ils restent très proches de leur mère qui est leur partenaire privilégié.
Le sevrage artificiel est très stressant pour les poulains et pour les juments. Or, des solutions plus douces existent et commencent à percer, comme le sevrage par paire ou l’introduction d’autres adultes, dans tous les cas avec transition alimentaire.
Dans cette période de grands changements pour une meilleure prise en compte du bien-être de nos chevaux, le sevrage spontané apparaît comme méthode d’avenir !
A très vite pour un prochain article,
Camille Saute
Responsable R&D chez Equisense
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– Bourjade, M. Moulinot, S. Henry, M. A. Richard, et M. Hausberger, « Effet de la présence d’adultes sur le développement du comportement des jeunes chevaux domestiques élevés en groupe », in 32ème Journée de la Recherche Equine, 2006, p. 61‑69.
– Bourjade, M. Moulinot, S. Henry, M. A. Richard-Yris, et M. Hausberger, « Could adults be used to improve social skills of young horses, Equus caballus? », Dev. Psychobiol., vol. 50, no4, p. 408‑417, 2008.
– Foury, L. Lansade, M. Vidament, F. Reigner, et N. Mach, « Effets du stress induit par le sevrage sur les indicateurs biologiques et transcriptomiques du stress chez les équins : Analyse comparative d’un sevrage progressif et d’un sevrage brutal », in 43ème Journée de la Recherche Equine, 2017, p. 155‑158.
– Fureix, M. Bourjade, S. Henry, C. Sankey, et M. Hausberger, « Exploring aggression regulation in managed groups of horses Equus caballus », Appl. Anim. Behav. Sci., vol. 138, no3‑4, p. 216‑228, 2012.
– S. Henry, S. Briefer, M. A. Richard-Yris, et M. Hausberger, « Utilisation des influences sociales autour du sevrage », in 32ème Journée d’Etude de la Recherche Equine, 2006, p. 79‑86.
– S. Henry, A. J. Zanella, C. Sankey, M. A. Richard-Yris, A. Marko, et M. Hausberger, « Adults may be used to alleviate weaning stress in domestic foals (Equus caballus) », Physiol. Behav., vol. 106, no4, p. 428‑438, 2012.
– L. Lansade, F. Lévy, J.-M. Yvon, E. Guettier, F. Reigner, G. Bouvet, D. Soulet, et M. Vidament, « Le sevrage : quelles sont les recommandations issues de la recherche équine ? », in 42ème Journée de la Recherche Equine, 2016, p. 87‑93.
– S. Henry, H. Sigurjónsdóttir, A. Klapper, J. Joubert, G. Montier, et M. Hausberger, « Le sevrage spontané du poulain : facteurs de variation et impact sur le lien jument-poulain », in 44ème Journée de la Recherche Equine, 2018, p. 4‑13.
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